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La sculpture et la peinture sont nées
simultanément, car l'homme depuis les temps les plus lointains, a
voulu représenter la nature avec ses incompréhensions, ses
mystères, sa loi impitoyable.
La sculpture, expression première de la pensée,
s'est imposée de prime abord comme l'extériorisation de la pensée
figurative, et le cerveau de nos ancêtres a voulu rendre palpable la
chose pensée et la reproduire sur les parois des cavernes.
Environ 30 000 ans avant notre ère, c'est-à-dire
vers le Paléolithique supérieur, les chasseurs effectuaient de
splendides bas-reliefs sur pierre, tel la "Vénus à la corne"
à Laussel en Dordogne ou les gravures sur os magnifiquement
ciselées.
Les fameuses "Vénus" stéatopyges de nos
ancêtres, illustrent bien cette recherche de figuration réaliste
dans l'espace. De même, les dessins rupestres représentent une
parfaite symbiose de la peinture et de la sculpture, en ceci que le
dessin au trait, coloré ensuite, épouse les formes de la paroi,
inscrivant en cela un mouvement supplémentaire à sa représentation,
liant deux éléments dans une vision parfaite de simplicité mais ô
combien éloquente à nos yeux!
Dans la sculpture nous retrouvons toute la mystique
de la création, création divine comme certain pourrait le penser
car nous retrouvons le caractère magique de la créativité. "Dieu
forma l'homme de la poussière de la terre" -Genèse 2-7- mais
avant tout, création magnifique de l’espèce humaine.
La préhistoire, avec l'adoration et la vénération
de sculptures semi-naturelles, puis formées de mains humaines, a
fait prendre aux sculptures une dimension extra-humaine. Le culte
voué à ces représentations s'étendit et s'élabora, permettant de
cristalliser les croyances vers un foyer qui conjuguait les espoirs
et les craintes des personnes. En sacralisant le verbe pour devenir
sacrées elles-mêmes, les sculptures furent le foyer, le réceptacle
du divin, du magique ou d'une parcelle de divin, et de ce fait le
respect du sacré s'opéra.
La sculpture, comme tout art, implique la
personnalité entière de son créateur, son conscient certes, trace,
jauge, juge, décide ; mais au regard de tout cela le subconscient
veille, appliquant son empreinte dans chaque geste. Chaque œuvre
créée, garde une trace de l'univers de son auteur, s'adressant au
subconscient de ceux qui l'admirent. C'est ainsi que le public, à
travers les pays, les époques, les cultures, peut admirer et
apprécier une œuvre d'art. Chaque personne, résonne ou raisonne
différemment devant une œuvre, non pas uniquement en raison de sa
culture ou de ses connaissances acquises, mais de l'affectivité que
cela entraîne. On ressent une œuvre, tel un gène ego trouvant son
gène primitif au sein du subconscient, éveillant des images, des
impressions, qui font ressentir l'œuvre.
L’art est comme un chant à la vie ou une prière
à la nature, il doit être sincère ou ne pas être. Il permet à
son auteur de toucher les endroits les plus enfouis au tréfonds de
notre personnalité. Endroits sacrés où l'art puise, pour aller
rejoindre le public et se nicher dans ce réceptacle qu'est notre
cerveau afin de faire vibrer chaque diapason humain, car que cela
soit : bonheur, angoisses, douleurs, chaque être vibre suivant le
moment, à ces fondements de l'humanité.
L'art pour être beau, doit passer par les méandres
de notre pensée. En effet, l'imprégnation que cela comporte, donne
une connotation plus humaine, avec ses défauts, ses errements ou la
fragilité de la pensée, la force et le désespoir de la course
contre le temps donne à l'œuvre tout son relief.
Certaines cultures ont voulu donner un ordre du
beau, une échelle précise à respecter, un canon géométrique
idéal. Cela à nuit aux artistes qui, sur un moule imaginaire ont
tenté de produire de belles sculptures, mais ce sont enfermés dans
la rigidité des schémas où les corps ne vivent pas mais posent
sans essence subtile, sans âme. Car voilà le problème majeur de
l'artiste donner une âme à la représentation figée, la faire
vivre par elle-même sans mouvement.
La sculpture a toujours gardé ce côté mystérieux,
car se rapprochant du réel palpable, avec les représentations
humaines et le bestiaire fantastique qui ne fit qu’alimenter cette
approche, car l’œuvre sculptée ressemble à un être vivant
pétrifié prêt à revivre.
L'art s'imprègne de la culture, de la mémoire
collective, de son implantation géographique et historique, mais
avant tout l'art est interprétation et non copie, car sans cela il
n'y aurait plus cette affectivité qui relie l'artiste au public. Je
ne parle que de création et non de copie, même si la copie peut
être parfaite et devenir un objet d’art, elle n’en reste
néanmoins qu’une copie. Le travail du copiste et de reproduire
exactement le modèle, de même qu’en dessin ou en peinture si l’on
cherche à reproduire son sujet il faut d’abord le maîtriser par
son approche, puis le retranscrire fidèlement.
Il faut en un mot être « digne » de son sujet, si
l’on devient vague ou si un flou se fait sentir sur son travail
cela ne devient plus que l’interprétation entre l’artiste initial
et le copiste. Cette digression n'a eu pour objet que d'essayer de
faire saisir le cheminement et la source de l'art. L'artiste lors de
toute création, engage pleinement chaque parcelle de sa pensée, qui
ainsi va imprégner son œuvre, la transfigurer, donnant ainsi ce
caractère propre à chaque sculpteur.
L'œuvre statuaire de Michel-Ange nous fait saisir
ce caractère, chaque statue est empreinte d'une force herculéenne
mais avec une certaine lourdeur dans le visage. Cette vision est à
rapprocher du personnage de l'artiste qui lui était chétif, grave
insatisfait, c'est ce dernier trait qui ressort de l'œuvre de
Michel-Ange.
De même nous ressentons l'esprit torturé de Rodin
ou chaque personnage semble être en proie à des souffrances
intérieures donnant ce caractère vivant à chaque sculpture ou la
puissance intérieure ressort sublimé par la force de la sculpture.
Ces deux exemples illustrent bien, que chaque création n'est jamais
anodine pour l'auteur.
Les œuvres non finies de ces deux artistes ont
nombre de points communs qui les rendent encore plus saisissantes.
L’œuvre émerge ou se trouve encastrée dans le bloc brut de
marbre, et la force de caractère qui en émane est troublante tant
par le jeu d’ombre naissant que de la forme augurant l’état
futur. Ce caractère non achevé en fait une sculpture plus proche de
l’artiste car non polie de cette finition qui parfois enlève
l’aspect naturel de l’être
Il faut transcender le sens de la vie, et tel un
artiste du moyen âge devant une cathédrale, le but sera l'art,
créer l'œuvre absolu rechercher, tel Rodin avec sa porte des enfers
chef-d'œuvre de la tourmente de l'esprit, dans les méandres de
notre cerveau, l'absolu quête, la vérité de notre recherche, et se
mettre à nu par création interposée. Rechercher notre origine,
notre finalité, et réduire cela à une œuvre même maladroite mais
sincère, voilà à quoi doit s'exercer l'artiste dans sa création.
L'artiste ne veut ou ne peut pas toujours
représenter la nature mais plutôt l'esprit, et l'empreinte que
l'humanité laisse reste à jamais indélébile dans sa création.
Il faut relire l'ouvrage de Kant "Critique de
la faculté de juger" Livre II Analytique du sublime les
paragraphes 43 à 54 sur les beaux-arts ou il disserte sur la faculté
productive et innée de l'artiste, sur l'originalité et
l'exemplarité de la création de l'artiste.
La sculpture est un art, et comme la peinture et
l'écriture, un moyen d'expression, mais le message doit être
déchiffré, laissé intentionnellement ou inconsciemment, peut
importe, l'essentiel de la démarche devant être effectué par le
public.
L'artiste n'est-il pas un être torturé, tentant
par son art d'extérioriser ses pulsions, ses craintes, les
souffrances cachées de l'homme. Art exigeant en raison de la
concentration visuelle et physique, mais tellement passionnant, où
l'homme concrétise une pensée par un objet. D'un dessin, d'une
esquisse à deux dimensions, l'artiste crée une forme à trois
dimensions où la place dans l'espace joue pleinement son rôle.
Créer pour avoir non seulement la joie de regarder
son œuvre, mais aussi ressentir la beauté d'une courbe par le
toucher, jouer avec les jeux de lumière sur les parties saillantes
et cachées de l'objet, découvrant ainsi maintes autres expressions
d'une même œuvre.
L'aspect général de la silhouette doit être
d'abord approché dans un ensemble englobant la totalité de l'œuvre,
puis le relief et le galbe de la chose touchée pénètrent en nous,
nos sens sont alors exacerbés ce qui permet de mieux nous faire
saisir l'ensemble. La vue et le toucher s'interpénètrent afin de ne
faire plus qu'un, faisant vibrer la sensibilité de chacun, qui
devient acteur et non plus passant ou voyeur.
Le sculpteur fait passer par l'amour de son œuvre,
du travail accompli un flot d'ondes spirituelles qui se dégage de sa
création ; les coups de massettes et gouges ou burins, font
ressortir l'œuvre avec les facettes et les nuances dues à son état
primitif. L'essence de la chose sculptée doit atteindre son but par
la vibration qu'elle dégage, même si ce n'est qu'un rayonnement
fugitif, elle doit exister par son authenticité.
Nos musées manquent de sculptures en général et
plus particulièrement de sculptures pouvant être palpées librement
afin que chacun sente sous sa main la forme. Les adultes et les
enfants regardent mais ne voient pas, ils doivent pouvoir ressentir
le modelé du bout des doigts, avec la paume, s'imaginer mentalement
en fermant les yeux le relief représenté.
Découvrir la joie et la fierté d'un enfant face à
l'œuvre créée de ses mains. Découvrir l'éveil que toute création
apporte à l'enfant, correctement orienté, car l'art et le
développement créatif sont indispensables à l'humain, et
principalement à l'enfant. Il faut ouvrir des fenêtres multiples
sur l'art afin de faire ressentir un certain esthétisme poétique et
plastique.
La sculpture apporte cet élément créatif, et de
plus apprend une certaine gestuelle qui développe la connaissance de
soi et de sa maîtrise. Réaliser une œuvre est en soi un défi
créatif et manuel, car cela amène l'artiste à devoir surmonter, à
chaque geste, une nouvelle épreuve.
La pensée et le geste se trouvent ainsi réunis dans une même
action de création, cassant cette dualité que certains voudraient
obtenir entre l'intellect et le manuel.
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